Le Greffier Noir, enquêtes et faits divers.

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La prison Angola en Louisiane: de la traite humaine au traitement carcéral.

Par Virginie Ikky,

le 29 février 2016.

 

La prison d’État Angola, en Louisiane, est un vestige du passé esclavagiste des États-Unis du sud, une ancienne plantation de canne à sucre sur laquelle travaillaient au XIXe siècle des esclaves venus d'Afrique. Loin de renier ce passé, la prison qui lui a succédée porte non seulement le nom du pays d'où étaient majoritairement originaires les esclaves de la plantation, mais pratique toujours le travail agricole forcé. C'est aussi à son recours abusif aux mesures disciplinaires que la prison doit sa sinistre renommée. Durant des décennies, 3 militants des Black Panthers y ont été maintenus à l'isolement: The Angola three.

 

Angola, de la traite humaine au traitement carcéral.


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La prison Angola est une ancienne plantation, créée vers 1830 par Isaac Franklin qui a acquis les terres du futur pénitencier avec les bénéfices de sa société de traite d’esclaves. En 1901, la plantation devient une prison d’État, sans grand changement pratique dans la condition des travailleurs, désormais nommés détenus.

Ironie du destin, quelques 5100 détenus dont près de 75% d'afro-américains, vivent aujourd'hui à Angola, une population condamnée aux sentences les plus lourdes du système pénal états-unien. Chaque année, 32 détenus y meurent, tandis que 4 recouvrent la liberté. La prison compte le plus important taux de condamnés à la perpétuité des USA: 74 %, pour une durée moyenne des sentences d’État de 88 ans.

 

En Louisiane, le milieu carcéral est depuis longtemps un business comme les autres.

 

Au début des années 1990, alors que le taux d’incarcération était deux fois moins élevé qu’aujourd’hui, la Louisiane s’est vue sommée de réduire sa surpopulation carcérale par un tribunal fédéral. L’État avait donc le choix entre incarcérer moins d'individus ou construire plus de pénitenciers: la seconde option fut retenue, non pas en bâtissant de nouvelles prisons d’État mais en poussant les shérifs et les entreprises à construire des prisons privées contre retour sur investissement, à grand renfort d’incitations financières.

La Louisiane est l'un des 24 États des États-Unis à avoir adopté la loi des 3 coups, ou "3 strikes-law". Chaque État en propose sa propre déclinaison mais le principe est immuable: imposer aux tribunaux de prononcer des sentences minimales à l'encontre de toute personne condamnée 2 fois par le passé, l'état de récidive légale dans l'acception française de la notion n’étant pas systématiquement requis. En Louisiane, la loi des 3 coups signifie une condamnation automatique à perpétuité sans possibilité de libération sur parole pour, sans surprise, les crimes, mais aussi des délits : vols à main armée, infraction à la législation sur les stupéfiants punie de 5 ans d'emprisonnement, "felony" (12 ans). Ces lois ont été déclarées constitutionnelles par la Cour Suprême des États-Unis au regard du 8ème amendement de la Constitution américaine prohibant les châtiments cruels. La France a, entre 2007 et 2013, connu sa propre version de la "3 strikes-law", la loi sur les peines planchers, depuis abrogée.

 

Le secteur pénitentiaire est un employeur de premier plan. Il pèse 182 millions de dollars, avec cette particularité que les entrepreneurs du secteur carcéral sont pour la plupart des shérifs de petites villes qui financent leur activité de maintien de l’ordre grâce aux profits générés par leurs activités pénitentiaires. Un conflit d'intérêt saisissant puisque si le nombre de détenus chutait, les finances des shérifs, élus par la population locale, en pâtiraient proportionnellement.

Le "lobby des prisons" bloque toutes les réformes susceptibles d'entraîner une diminution du nombre de personnes incarcérées, la Louisiane étant de ce dernier point de vue mais aussi quant au respect des droits humains fondamentaux, un État qui n’a rien à envier à l’Iran ou à la Chine. Le taux d'incarcération en Louisiane est le plus élevé des États-Unis avec 1 adulte sur 86, soit près du double de la moyenne nationale. A La Nouvelle-Orléans, 1 homme noir sur 14 est incarcéré ; 1 homme noir sur 7 est soit en prison, soit en sursis, soit en liberté conditionnelle.

 
angola dortoir.jpgAngola est la plus grande prison d’État américaine, entourée par le fleuve Mississippi et les marais. Y cohabitent divers niveaux de sécurité, 29% des lits de la prison étant réservés aux détenus sous sécurité maximale. Les cellules individuelles y sont exceptionnelles, les grands dortoirs la norme.

Le complexe, grand comme Manhattan, englobe la prison principale, plusieurs bloc éparpillés sur les terres, ainsi qu’un couloir de la mort comprenant 101 cellules de confinement.

Pour les employés de la prison, un quartier résidentiel formé de petites maisons, avec piscines, centre communautaire et terrains de sport accueille 1200 personnes, soit les 700 employés de la prison et leur famille. Angola dispose également d’une "guest house", la "Ranch House", installation conviviale où les gardiens et autres fonctionnaires se réunissent, le service étant assuré par des détenus. Angola dispose enfin de plusieurs cimetières. Le complexe fait manifestement la fierté de ses dirigeants qui y autorisent régulièrement des tournages de cinéma, comme le film JFK d'Oliver Stone.

 
angola prison.jpgLe travail est obligatoire à Angola, sauf pour les détenus considérés comme très dangereux par l'administration, qui restent confinés 23 h sur 24 dans des cellules de 2,70 m par 1,80 m. Les détenus travaillent surtout dans les champs de canne à sucre, de coton, de maïs ou de légumes. Il y a aussi un troupeau de vaches et des écuries pour les chevaux. Les détenus sont payés quatre cents de l'heure. Si le prisonnier ne travaille pas assez, il écope d’un rapport disciplinaire ou est envoyé au mitard.

 

Par contre, les prisonniers qui ont gagné la confiance de la direction, après 10 ans de mise à l'épreuve, deviennent des «trusties». Il y en a 350, leurs travaux sont mieux rémunérés (20 cents de l'heure) : palefrenier, secrétaire, guide du musée de la prison, cuisinier, ébéniste, chauffeur de camion, « house boy » du directeur de la prison ou prêtre d'une des chapelles.

 

Comme toutes les prisons d’État, Angola dispose de quartiers d'isolement, dont le régime est plus sévère que celui du couloir de la mort (par exemple, les condamnés à la peine capitale bénéficient d'un parloir illimité).

 

 

Les trois d'Angola

 

angola-three free the angola three affiche flyer de soutien Black PanthersAngola s'est rendue célèbre pour le sort qu'elle a réservé à 3 détenus, connus sous le nom des "Trois d'Angola", maintenus à l'isolement dans des conditions et pour des durées qui dépassent l'entendement.

Leur tort aura été de défier l'autorité pénitentiaire.

Robert King, Albert Woodfox, et Hermann Wallace ont été envoyés à Angola en 1971 pour vol à main armée, à une époque où les détenus travaillaient 16 heures par jour, 6 jours sur 7, payés 2 cents de l'heure. Membres des Black Panthers, ils reprennent naturellement leur militantisme une fois incarcérés et organisent des grèves de la faim ou des cessations du travail pour dénoncer les conditions d'incarcération, l'esclavage physique et sexuel.

 

En effet, avec des temps d'incarcération démesurés, Angola est particulièrement touchée par la violence sexuelle entre détenus sans que les autorités n’interviennent pour endiguer le fléau. Dans les années 70, les tensions entre surveillants et détenus étaient à leur comble, et les surveillants d'Angola encourageaient et facilitaient les violences infligées aux plus faibles. Les "trusties" avaient carte blanche, se voyaient confier des armes par les surveillants et pouvaient réduire en esclavage qui bon leur semblait. Les 3 d'Angola tentent d'alerter l'opinion publique.

 

En 1972, ils sont accusés sur la base d'un témoignage douteux du meurtre d'un agent pénitentiaire, Brent Miller, puis retirés de la population carcérale générale et placés à l'isolement.

Brent Miller a été poignardé à 32 reprises lors d'un mouvement de révolte. Aucune preuve matérielle ne reliait Woodfox ou Wallace à ce meurtre mais ils sont néanmoins accusés et condamnés, essentiellement sur la foi de témoignages de codétenus. Le troisième d'Angola, King, bien que non inculpé, est également placé à l'isolement.

 


Au fil des années, plusieurs personnalités et organisations, dont Amnesty International, ont rejoint la lutte des «Angola three». Deux documentaires leur ont été consacrés

 

L'histoire des Trois d'Angola fait écho à celle de Thomas Silverstein, détenu de la prison Supermax de Florence, sanctionné dans les années 80, et qui détient encore aujourd'hui le record absolu de temps passé à l'isolement dans une prison fédérale.

 

Amnesty International dénonce régulièrement le recours excessif à l'isolement dans les prisons américaines, où se sont multipliés les quartiers de haute sécurité (QHS) et les mesures de confinement, l'isolement total devenant un moyen légal et courant de briser les plus récalcitrants. Le régime de haute sécurité implique diverses formes de privation sensorielle: lumière ou, à l’inverse, obscurité permanente (et absence de lumière naturelle), insonorisation ou bruits de fond empêchant d’entrer en contact avec les détenus des cellules voisines, etc.

 

D’une manière générale, les prisonniers sont soumis à un dispositif de surveillance outrancier et oppressif. Les contacts humains, y compris avec les gardiens, sont réduits au minimum: repas distribués par une ouverture dans la porte de la cellule, les promenades s’effectuent seul, quasi inexistence des activités culturelles, éducatives ou thérapeutiques. Les possibilités de correspondance et de contacts avec le monde extérieur sont réduites et les conditions de visite sont extraordinairement restrictives. À cela s’ajoute l’éloignement des prisons des centres urbains, ce qui ne facilite pas les visites des proches : par exemple, la prison de Pelican Bay, à l’extrême nord de la Californie, est à 6 heures de route de San Francisco et à 13 heures de Los Angeles, les deux principales villes de l’État.

Aux États-Unis, les mesures de placement dans les quartiers de haute sécurité ne sont pas limitées dans le temps. Seul recours: le passage devant une commission tous les 90 jours qui décide ou non du renouvellement;  et au vu des durées de détention en QHS atteintes par de nombreux détenus, cette commission n'est qu'un leurre. Les chercheurs s’accordent sur le fait que de telles conditions de détention favorisent l’apparition de troubles aussi bien psychiques que physiques. On rapporte également un nombre plus élevé de suicides et d’automutilations. D’une manière générale, l’état de santé des personnes placées dans des quartiers de haute sécurité se dégrade rapidement.


angola three.jpgEn 1997, un ancien membre du Black Panther Party, Malik Rahim, rouvre le dossier des Trois d'Angola et obtient l'annulation de la sentence contre King. Ce dernier est libéré après 29 ans passés à l'isolement.

En mars 2008, après 36 années d'isolement, Wallace et Woodfox sont replacés en dortoirs de sécurité maximale, un cran en-dessous du niveau de sécurité auquel ils étaient précédemment astreints.

Alors que les appels de leurs condamnations sont en cours, ils sont renvoyés à l'isolement en mars 2009. Wallace est transféré dans le pénitencier d'Elayn Hunt, la seconde prison d’État de Louisiane. Woodfox est quant à lui envoyé dans une prison près de la frontière de l'Arkansas, à 7 heures de route de ses proches et de son comité de soutien.

 

En 2013, pour la troisième fois dans l'histoire des Angola Three, un juge fédéral annule la condamnation de Woodfox. La Cour d'appel confirme que la sélection raciale du grand jury lui était préjudiciable. Il faudra encore trois ans pour qu'Albert Woodfox soit libéré au terme d'un combat judiciaire titanesque, le 19 février 2016, après 46 ans d'isolement.

 

Herman Wallace le jour de sa libération pour raisons médicales The Angola ThreeDe l'avis de tous, l'Etat de Louisiane s'est acharné au-delà du raisonnable à l'encontre de ces 3 détenus qui ne présentaient plus, depuis longtemps, le moindre danger social ; et avaient par ailleurs, depuis des années, purgé leur peine principale pour vol à main armée.


Herman Wallace, libéré pour raisons médicales après un long combat soutenu par Amnesty International est décédé le 4 octobre 2013, soit trois jours après sa sortie de prison.

 

 

Virginie Ikky, le 29 avril 2015 pour Greffier Noir.

 

 

 Sources :

 

1 - Amnesty international, campagne pour les trois d'Angola

 

2 - Documentaire "Angola 3"

 

3 - Policy.mic, a modern day slave plantation exists and it's thriving in the heart of america

 

4 - Democracy Now 16 février 2016 http://www.democracynow.org/2016/2/19/free_at_last_albert_woodfox_of

 

5 -Histoire du Black Panthers: https://www.marxists.org/history/usa/workers/black-panthers/

voir aussi  http://cle.ens-lyon.fr/anglais/the-black-panther-party-s-fight-against-medical-discrimination-138877.kjsp?STNAV=&RUBNAV=&RH=CDL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



29/02/2016
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