Le Greffier Noir, enquêtes et faits divers.

Le Greffier Noir, enquêtes et faits divers.

Les attentats du marathon de Boston, les frères Tsarnaev.

Par Virginie Ikky

 

Le 29 septembre 2015

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Les attentats du marathon de Boston, douze ans après le 11 septembre 2001, illustrent la nouvelle génération de terroristes islamistes, bien moins sophistiqués que leurs ainés. Les frères Tsarnaev ont appris à fabriquer leurs engins explosifs sur internet. Si l'aîné n'a jamais caché sa dérive islamiste, le plus jeune en revanche semblait en voie d'intégration au pays qui venait de le naturaliser citoyen américain.

 

Boston est une des plus anciennes villes des Etats-Unis, et attire les jeunes élites du monde entier avec un enseignement supérieur de renommée mondiale. Le troisième lundi d'avril est un jour férié dans l’état du Massachusetts, le Patriots’ Day commémorant les batailles de Lexington et Concord, première bataille de la Révolution américaine, qui a eu lieu le 19 avril 1775. C'est aussi le jour où se déroule chaque année le plus ancien marathon des USA. En cette Journée du 15 Avril 2013, la 117e édition du Marathon de Boston va être tragiquement endeuillée par 2 attentats à la bombe simultanés, au beau milieu de la foule de coureurs et des spectateurs venus assister à cet événement annuel incontournable de la ville.

 

À 14h49, environ deux heures après que le vainqueur ait franchi la ligne d'arrivée, et alors qu’il reste plus de 5700 coureurs en lice, deux bombes explosent à 13 secondes d’écart sur Boylston Street, juste avant la ligne d'arrivée. Les explosions ont soufflé les fenêtres sur les bâtiments adjacents mais les plus importants dégâts sont à déplorer chez les spectateurs. Les secouristes et le personnel médical déjà sur place se précipitent pour porter assistance aux victimes gravement blessées. Les explosions ont tué 3 spectateurs, blessé plus de 260 personnes, qui ont été traités dans 27 hôpitaux. 14 victimes ont dû subir des amputations.

 

Photos des victimes des attentats de BostonKrystle Marie Campbell, 29 ans, Lu Lingzi, étudiante chinoise de 23 ans, et Martin William Richard, un enfant de 8 ans, ont été tués lors de l'attentat. C'est naturellement le petit dernier qui deviendra l'image des victimes, la famille de l'enfant ayant été durement touchée puisque sa sœur Jane a perdu une jambe, tandis que sa mère et son père souffrent de graves séquelles. Martin, accompagné de ses parents, de son grand frère et de sa petite sœur, assistait au marathon. Il se tenaient à quelques mètres de la seconde bombe. Le témoignage du médecin légiste sur les blessures dont a souffert le petit garçon lors de son agonie sera un des temps fort du procès à venir.(1) L'enfant a eu le corps déchiqueté, et son père viendra dire à la barre qu'il a dû faire le choix terrible de partir avec 2 de ses 3 enfants pour trouver une ambulance, en laissant Martin derrière lui, pour être sûr de les sauver. Les deux femmes se sont quant à elles vidées de leur sang après avoir été touchées à l'artère fémorale.

 

La police doit rapidement boucler la zone au milieu des secours, des victimes, des spectateurs et des coureurs qui s'éparpillent en abandonnant sur place des sacs, qui constituent autant de bombes potentielles. Par mesure de précaution, la Federal Aviation Administration, FAA, restreint l'espace aérien au-dessus de Boston, et émet une interdiction temporaire d’atterrir à l'aéroport international Logan de la ville.

 

Le FBI détermine rapidement que les bombes étaient placées dans des autocuiseurs. Il s’agit d’engins artisanaux, commandés à distance vraisemblablement au moyen de télécommandes de jouets. Les enquêteurs ont trouvé des éclats d'obus, des clous, des billes de roulement, ainsi que des pièces en nylon noir provenant d'un sac à dos. Le couvercle d'une cocotte-minute a été retrouvé sur un toit à proximité. Le FBI exploite immédiatement les bandes des caméras de vidéo-surveillance, qui ont capté l’image d’un jeune homme au milieu de la foule dont le comportement apparaît suspect. Il s'est trouvé à un moment tout à côté du petit Martin Richard. On peut nettement voir qu’au moment de la première explosion, tous les visages se tournent en un seul mouvement vers le lieu d’où provient le souffle et sont figés d'effroi, à l'exception de ce jeune homme, le seul à n'afficher aucune émotion et à partir rapidement des lieux. La seconde bombe explose alors dans la zone où il se tenait. Le visionnage des caméras permet d’identifier un deuxième homme qui l’accompagnait à son arrivée sur le site.

 

 

Médias et internautes rivalisent dans la course à l'identification des poseurs de bombes et plusieurs personnes ayant assisté au marathon voient rapidement leur photo publiée à tort et à travers sans que les auteurs de ces "scoop" n'aient pris la moindre précaution.

 

o-NEW-YORK-POST-BAG-MEN-facebook.jpgDans une conférence de presse tenue à 17h20, le 18 Avril, le FBI publie des photographies et des vidéos de surveillance montrant les deux suspects portant chacun sacs à dos et casquettes, lunettes d'aviateur pour le plus âgé, marchant nonchalamment, mais résolument. Le FBI demande l'aide du public pour les identifier, le visage du plus jeune étant à découvert. Les deux frères Tsarnaev ont compris qu’ils étaient identifiables à tout moment et que le visage de Dzhokhar serait rapidement reconnu par ses camarades d'université. Ils ont décidé de fuir de Boston mais n’ont manifestement rien préparé. De fait, ils n'ont plus que quelques heures à vivre pour l'un, de liberté pour l'autre, et ne sortiront jamais de la ville.

 

Le 18 avril au soir, une fusillade a lieu sur le campus du MIT, lorsque que les frères braquent un policier du campus pour lui voler son arme. Sean Collier est abattu de plusieurs balles alors même que son arme est restée bloquée dans l’étui, muni d’une sécurité anti-vol. Son corps est retrouvé sur le siège de son véhicule. Le duo prend ensuite en otage le conducteur d’un véhicule MERCEDES, avec qui Tamerlan monte en voiture tandis que Dzhokhar les suit dans une HONDA. Pourquoi ? La stratégie des deux comparses est obscure, puisqu'ils ont un véhicule. C'est courir beaucoup de risques inutiles, d'autant que Tamerlan se vante immédiatement auprès du conducteur d’avoir commis les attentats et dit à son otage qu’ils partent pour la ville de NEW YORK. Les frères le forcent à retirer 800 $.

 

L'otage, un ressortissant chinois nommé Dun parvient à s’échapper alors que les voitures sont arrêtées dans une station-service. Il court immédiatement donner l’alerte. Son téléphone est resté dans le véhicule et continue d’émettre, sans que les frères Tsarnaev n'aient pensé à l'éteindre. Les images ci-dessous montrent Dzhokhar en train d'acheter tranquillement des snacks dans la station-service; l'otage part en courant; enfin Tamerlan qui vient chercher son frère.

 


Avec la description des véhicules, des suspects, et le signal du téléphone, la police n’a plus qu’à se diriger sur Watertown et à chercher les véhicules. Peu après minuit, un officier de police de Watertown, Joseph Reynolds, repère les frères. S’en suit une fusillade soutenue en plein quartier d’habitation, au cours de laquelle quelques 200 à 300 cartouches sont tirées ainsi que plusieurs grenades et bombes artisanales. A cours de munitions, Tamerlan,  se fait tirer dessus et est plaqué au sol par les policiers qui tentent de la maîtriser. C'est alors qu'ils entendent un bruit de moteur. Dzhokhar s'est replié vers le véhicule MERCEDES pour fuir, mais au lieu de partir dans le sens opposé, il manœuvre dans le but d'écraser les officiers. Le véhicule passera à quelques millimètres du visage de l’un d’entre eux, mais le corps de Tamerlan est pris dans les roues arrières et traîné sur plusieurs mètres. Grièvement blessé par balles et par le choc, Tamerlan Tsarnaev meurt sans gloire à l'hôpital à 1h35 du matin. Plusieurs policiers ont également été blessés au cours de cette fusillade désorganisée en plein quartier résidentiel, alors que Dzhokhar Tsarnaev s’est enfuit. Les autorités ne veulent plus prendre de risques et des mesures drastiques vont être ordonnées pour la suite : la traque de Dzhokhar Tsarnaev, parti à pied après avoir abandonné son véhicule. Il est blessé et la logique veut qu'il se soit caché dans les environs.

 

Dans la matinée du 19 Avril, le gouverneur demande aux résidents de Watertown et des alentours de ne pas sortir de chez eux. Une zone de plusieurs pâtés de maisons est complètement bouclée et les résidents ont pour instruction de ne pas quitter leurs maisons et de répondre aux officiers du SWAT qui font du porte à porte pour fouiller chaque recoin. Des Hélicoptères quadrillent la zone et la chasse à l’homme mobilise de très nombreux organismes tels que le FBI, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, le Department of Homeland Security , la Garde nationale, les départements de police de Boston, Watertown et la police de l'État du Massachusetts.

 

La démonstration de force est le premier grand test sur le terrain des groupes de forces inter-agences créés dans le sillage des attentats du 11 Septembre.

 

La chasse à l'homme prend fin dans la soirée du 19 Avril. En dehors de la zone de recherche, un résident de Watertown remarque que la bâche de son bateau dans son arrière-cour n'est pas bien mise. En s'approchant, il voit un corps gisant dans une mare de sang. Les autorités l'encerclent et vérifient les mouvements à l'intérieur de l'embarcation à l’aide d’un système d'imagerie thermique infrarouge depuis un hélicoptère de la Police d'Etat. Lorsque le suspect commence à trouer la bâche du bateau, la police fait feu; les échanges durent une heure. Tsarnaev, dans un état critique se rend finalement. Il est emmené au Beth Israel Deaconess Medical Center, atteint de multiples blessures par balles à la tête, au cou, aux jambes et à la main.

 

boat1-7844.jpgLorsque les enquêteurs inspectent le bateau, ils y découvrent une diatribe djihadiste griffonnée sur les parois de la coque. Dans ce document, Dzhokhar semble revendiquer la responsabilité de l'attentat, qu'il justifie par les massacres de civils commis le gouvernement américain, faisant probablement référence aux musulmans en Irak et en Afghanistan.

 

Une fois sorti du bloc opératoire, Dzhokhar Tsarnaev est dans un premier temps interrogé pendant 16 heures par les enquêteurs, bien que sa blessure au cou l'empêche de parler. Il répond par écrit ou par signes de tête, mais cesse de répondre aux questions dans la nuit du 22 Avril, après que le juge Marianne Bowler lui ait lu ses droits Miranda. Les droits Miranda sont issus de la décision de la Cour Suprême Ernesto Miranda c/ Arizona, décision rendue sous la présidence d'Earl Warren, qui a annulé des aveux, faute pour la police d'avoir clairement informé le suspect de son droit de garder le silence et de faire appel à un avocat. L'avertissement Miranda est à présent systématiquement donné oralement à chaque arrestation. Si 16 heures ont pu s’écouler avant que les droits Miranda ne soient lus à Tsarnaev, c’est qu’a été utilisée l’exception de "sécurité publique", une exception juridique permettant l'admissibilité de déclarations formulées sans mises en garde Miranda, en cas de danger grave et imminent pour la sécurité publique.

 

Le 22 Avril 2013, Dzhokhar Tsarnaev est mis en accusation depuis son lit d'hôpital, plusieurs chefs d'accusation étant passibles de la peine de mort. Le 26 Avril, il part pour le centre fédéral de Fort Devens, une installation pénitentiaire médicale installée dans une ancienne base de l'armée. Il y est détenu à l'isolement sous un régime de sévères restrictions des communication vers sa famille ou ses avocats.

 

Plusieurs sénateurs militent pour que Dzhokhar Tsarnaev, citoyen américain, soit jugé comme un combattant ennemi illégal plutôt que comme un criminel de droit commun. Le terme de combattant ennemi illégal est apparu dans le droit américain dans l'arrêt ex parte quirin de la cour suprême des Etats-Unis en 1942, et repris par l'administration Bush en 2002, pour justifier la détention des prisonniers d'Al Qaeda en dehors de la protection de la convention de Genève. Le gouvernement ne s'aventurera pas si loin avec Tsarnaev, qui sera jugé comme un citoyen américain, par un tribunal fédéral, permettant une condamnation à mort. La peine de mort a en effet été abolie dans l'état du Massachusetts, mais elle reste légale au niveau fédéral.

 

Le 10 Juillet 2013, Dzhokhar Tsarnaev plaide non coupable des 30 chefs d'accusation lors de sa première comparution devant le tribunal. Le 2 Octobre, les avocats de Tsarnaev demandent au tribunal de lever les mesures administratives spéciales imposées par le Procureur sur les conditions de détention. En début d'année 2014, le Procureur Général annonce que l'état demandera le prononcé de la peine capitale. Le 24 Septembre 2014, le Juge O'Toole fixe la date de début du procès au 5 Janvier 2015, rejette les demandes de délai et de dépaysement présentées par la défense, qui veut éviter une audience à Boston. La sélection du jury commence le 5 Janvier 2015, avec un groupe initial de 1 373 candidats, qui vont devoir remplir des questionnaires et répondre à plusieurs entretiens individuels.

 

Le 3 Mars 2015, le jury, composé de huit hommes et 10 femmes (dont six suppléants), est enfin sélectionné. Le procès débute le 4 Mars 2015 par les déclarations préliminaires. Le procureur adjoint William Weinreb décrit Dzhokhar Tsarnaev comme un soldat, engagé dans une guerre sainte contre les USA et prêt à mourir en martyr.

 

L'Avocat de la défense Judy Clarke insiste sur l'influence du frère aîné. Cette avocate a acquis une renommée internationale dans la défense d'accusés encourant la peine de mort. Sa stratégie pour sauver la tête de son client : faire oublier l'islamiste et amener les jurés à entrapercevoir le jeune étudiant autrefois bien intégré de la petite ville de Cambridge, surnommé Jahar par ses amis.

 

Dzhokhar-Tsarnaev-in-chair-jpg.jpgFamille d'émigrés russes, les Tsarnaev ont vécu en Amérique une décennie - à Cambridge, une ville très progressiste de la banlieue de Boston. Tamerlan était un boxeur talentueux qui aspirait à concourir aux jeux olympiques, tandis que son petit frère avait obtenu une bourse pour l'Université du Massachusetts de Dartmouth et pensait devenir ingénieur, ou dentiste. Dzhokhar était naturalisé américain depuis le 11 Septembre 2012. Si Tamerlan était fiché "djihadiste" par la Russie, Dzhokhar apparaissait au contraire comme un exemple d'intégration, un garçon ne montrant pratiquement aucun signe de colère, ou d'idéologie politique radicale. Une personnalité profondément fracturée se cachait derrière cette façade lisse.

 

Dzhokhar Tsarnaev est né le 22 Juillet 1993, et a passé les sept premières années de sa vie dans la république d'Asie centrale montagneuse du Kirghizistan, où son père, Anzor, vivait en exil. Anzor était originaire de la Tchétchénie, la plus vilipendée des anciennes républiques soviétiques, dont les habitants conduisent une guerre quasi-continue depuis le 18ème siècle contre la domination russe. La mère de Dzhokhar, Zubeidat, est une Avar, l'ethnie à majorité musulmane du voisin de l'est de la Tchétchénie, le Daguestan. Après la chute de l'Union soviétique, les nationalistes tchétchènes ont déclaré leur indépendance, ce qui a entraîné deux guerres brutales durant laquelle l'armée russe a massacré des dizaines de milliers de Tchétchènes.

 

parents tsarnaevBien que l'islam soit la religion majoritaire du Caucase du Nord, Anzor Tsarnaev n'est guère pratiquant. Au Daguestan, où l'islam est plus répandu, de nombreuses femmes portent le hijab, mais Zubeidat se coiffe à la mode occidentale. Le couple se marie le 20 Octobre 1986. Le lendemain, leur premier enfant, Tamerlan, vient au monde. Trois autres enfants suivront, tous nés au Kirghizistan, où Anzor a obtenu un emploi au bureau du procureur dans la capitale, Bichkek, une position de prestige, en particulier pour un Tchétchène. Il espérait emmener sa famille en Amérique, où son frère, Ruslan, avocat, s'était intégré dans la classe moyenne supérieure. Après que la Russie ait envahi la Tchétchénie en 1999, Anzor a été renvoyé de son travail, victime d'une purge de grande ampleur des Tchétchènes au sein du gouvernement kirghize. Les Tsarnaev fuient dans un premier temps au Daguestan. Au printemps 2002, Anzor, Zubeidat et le petit dernier Dzhokhar, âgé de 8 ans, arrivent en Amérique avec un visa touristique et demandent l'asile politique. Les trois enfants plus âgés, Ailina, Bella et Tamerlan, sont restés au pays avec des parents.

 

La famille a vécu tout d'abord dans la maison du Dr Khassan Baiev, un médecin tchétchène vivant en banlieue de Boston. En Juillet 2003, le reste de la famille se joint à eux à Cambridge, où ils ont emménagé dans un petit appartement de trois chambres. Anzor, travaille comme mécanicien, à 10 $ l'heure. Dans le milieu des familles tchétchènes très traditionnelles les Tsarnaev étaient atypiques. Zubeidat était une femme moderne avec un goût prononcé pour les jeans élégants, les talons et les jupes courtes. Elle marque une nette préférence pour ses 2 garçons, au détriment de ses 2 filles, en particulier pour Tamerlan.

 

Premier arrivé sur le sol américain et plus jeune de la famille, Dzhokhar parle l'anglais en quelques années sans accent et se fond parfaitement dans la vie multi-culturelle de Cambridge, où il pratique la lutte, et fume en grande quantité du cannabis, chose assez courante chez les jeunes de son âge. Il a beaucoup d'amis, mais ils ne vont jamais à son domicile. Sa famille est invisible et ne vient jamais assister à ses compétitions sportives. Il faut dire qu'en dehors du petit dernier, le reste des Tsarnaev vit assez mal l'intégration en territoire américain.

 

tsarnaevAnzor, autrefois haut fonctionnaire, donne l'image d'un homme rustre et se cantonne à des emplois manuels peu valorisants. Il souffre d'arthrite chronique, de maux de tête et de douleurs à l'estomac. Zubeidat, une femme entreprenante, s'essaye à plusieurs emplois et semble adopter sans réserve le mode de vie occidental de la femme active, portant jean moulant et maquillage, mais sans succès au bout du compte. En 2009, la santé de Anzor se détériore et l'oblige à demander des aides alimentaires, une infamie pour le chef de famille. Quant aux sœurs Tsarnaev, Ailina et Bella, elles sont très en retrait et seraient parties vivre dans le New Jersey, pour échapper aux mariages arrangés que leur préparaient leurs parents.

 

L'expérience de Tamerlan à Cambridge est également bien moins heureuse que celle de son frère. Il est adolescent quand il arrive sur le sol américain, et s'intègre difficilement à la vie lycéenne, avec ses manières un peu rustaudes et son fort accent russe. Diplômé en 2006, il s'inscrit au Bunker Hill Community College pour étudier la comptabilité, mais n'assiste qu'à trois semestres avant d'abandonner. Il nourrissait le rêve de devenir un boxeur olympique. Mais son arrogance sapera ses ambitions. En 2010, un entraîneur rival dépose plainte auprès de la fédération nationale de boxe contre Tamerlan, accusé d'avoir violé l'éthique du combat en narguant son adversaire avant un match. Tamerlan est disqualifié des compétitions nationales.

 

Les gens qui le fréquentent alors le décrivent comme un jeune homme hautement narcissique, très porté sur la fête, l'alcool et la défonce, jusqu'à ce qu'il n'embrasse l'islam en 2009. (2)

 

130419140211-02-boxer-suspect-0419-horizontal-large-gallery.jpgIl se marie le 15 Juillet 2010, dans la Mosquée Masjid Al Coran dans la ville de Dorchester, avec Katherine Russell, une américaine convertie à l'islam enceinte de leur fille. Tamerlan a abandonné son style play-boy tape à l’œil pour l'islam, revendiqué au travers d'une chaine Youtube prônant le salafisme. Ce repli identitaire est relayé par sa mère, déçue de son intégration ratée, qui elle-aussi se réfugie dans la religion. Encouragé par sa mère à lire le coran, Tamerlan se lie d'amitié avec un arménien d'une trentaine d'années, Mikhail Allakhverdov, qui l'initie à la religion et passe de longues heures à son domicile. Tamerlan prie 5 fois par jour, lit des heures durant des sites internet islamistes et conspirationnistes. Zubeidat suit la même évolution que son fils, et se radicalise. Elle interrompt son travail pour les prières et refuse de servir des hommes. Tamerlan critique de plus en plus ses anciens amis et fait du prosélytisme. Il clame que les attentats du 11 septembre 2001 sont un complot du gouvernement pour déchaîner les haines contre les musulmans. Or, c'est justement le jour du 10ème anniversaire des attentats qu'un des plus proches amis de Tamerlan va trouver la mort.

 

Le 12 septembre 2011, la police américaine retrouve trois jeunes hommes dans un appartement de Waltham, en banlieue de Boston, gorges tranchées et corps recouverts de marijuana. L’une des trois victimes, Brendan Mess, 25 ans, fréquentait le même club d’arts martiaux que Tamerlan Tsarnaev, qui l’y aurait présenté comme son meilleur ami. Mais Tamerlan n’a bizarrement pas assisté aux funérailles de son ami Brendan, à qui il reprochait son style de vie (Brendan dealait du cannabis). Un jeune d’origine tchétchène, Ibragim Todashev, aurait avoué avoir commis ce triple meurtre avec Tamerlan, sauf que l’interrogatoire de ce complice, mené dans un appartement en Floride le 22 mai 2013, a tourné au drame : après plusieurs heures lors desquelles Ibragim Todashev serait passé aux aveux, le jeune Tchétchène, connu pour son tempérament explosif, aurait soudainement agressé les policiers qui l’interrogeaient. Ceux-ci ont aussitôt dégainé et tué le suspect.

 

2011 est également l'année de l'éclatement de la famille Tsarnaev. Anzor ne supporte plus la dérive de sa femme et de son fils et retourne vivre en Russie. Le divorce sera prononcé cette même année. Zubeidat retourne également en Russie peu après. Elle a été arrêtée pour vol à l'étalage et préfère rentrer au pays plutôt que de faire face aux accusations. Dzhokhar est admis à l'Université de Dartmouth, l'une des meilleurs marchés où l'année coûte tout de même 22.000,00 dollars, l'une aussi des moins côtés, située dans une ville sans âme à 50 km de Boston. L'étudiant s'y ennuie et deale du cannabis pour subvenir à ses besoins. Loin de ses parents, il se raccroche de plus en plus à ses origines en fréquentant des jeunes originaires du caucase et en s'inscrivant sur le facebook russe Vkontakte.

 

Tamerlan séjourne de janvier à juillet 2012 au Daguestan, où ses parents réconciliés sont retournés s’installer. Tamerlan fréquente un cousin éloigné, Magomed Kartashov, ancien policier et leader islamiste local prônant la non-violence. Les deux jeunes hommes sont devenus très proches durant ce séjour et Kartashov aurait dissuadé Tamerlan de «rejoindre la forêt», c’est-à-dire la rébellion islamiste locale contre "l'occupant russe", en lui faisant comprendre qu'il n'a aucune légitimité à venir faire le jihad au Daguestan. Mais il revient aux USA à l'été 2012 radicalisé et rallie son frère à sa cause. La Russie l'a placé sur une liste d'islamistes à surveiller, et le FBI interrogera Tamerlan, sans toutefois déceler de menaces.

 

En décembre 2012, les amis de Dzhokhar ont remarqué qu'il essayait désespérément de se faire pousser la barbe - avec peu de succès. Ses tweets montrent un intérêt certain pour l'islam : «Je rencontre les gens les plus incroyables", "Ma religion est la vérité." Sur le plan scolaire, il est alors censé être en deuxième année à la faculté de Dartmouth, mais accuse plus de 20 000 $ de dette à l'université, alors même que les prestations d'aide sociale de sa famille ont été coupées. Il ne va quasiment plus en cours.

 

Au début de Février 2013, peu après avoir perdu sa subvention au logement, Tamerlan achète 48 mortiers contenant de la poudre explosive. Dzhokhar télécharge le premier numéro de la revue d'Al-Qaeda « Inspire », qui, dans un article intitulé «Fabriquer une bombe dans la cuisine de votre maman" offre des instructions détaillées sur la façon de construire un engin à l'aide d'un autocuiseur, de poudre explosive de feux d'artifice, entre autres ingrédients facilement disponibles. Les frères se procureront des armes en mars et passeront à l'action durant l'une des plus grandes manifestations annuelles de la vénérable ville de Boston, qui ne fait que les renvoyer à leur image de proscrits. S'ils ont réussi à déposer des bombes dans un lieu ultra-surveillé sans se faire prendre, l'amateurisme reste de mise, pour le plus jeune en particulier, qui n'a pas pris la peine de masquer son visage ou ses cheveux bouclés.

 

dias-kadyrbayev-azamat-tazhayakov-times-square.jpgL'après-midi du 18 Avril 2013, Robel Phillipos, un ami de Dzhokhar étudiant à Dartmouth, lui envoie un texto pour lui faire remarquer sur le ton de la plaisanterie qu'il ressemble à l'un des poseurs de bombes. "Lol", lui répond Dzhokhar puis «Je suis sur le point de partir," écrit-il. "Si vous avez besoin de quelque chose dans ma chambre, prenez le."

 

Selon le FBI, 3 amis de Dzhokhar, Robel Phillipos, Dias Kadyrbayev et Azamat Tazhayakov vont être informés de son départ, se rendre dans sa chambre où se trouve un sac à dos contenant des feux d'artifice vidés de leur poudre. Ne sachant que faire, ils attrapent le sac ainsi que l'ordinateur et s'en débarrassent, un crime qu'ils vont chèrement payer. Dias Kadyrbayev a été condamné pour obstruction à la justice et destruction de preuve à une peine de 6 ans de prison. Azamat Tazhayakov sera condamné à 42 mois de prison pour avoir pris le sac à dos, et Robel Phillipos purgera 3 ans pour avoir menti aux enquêteurs.

 

Le 8 Avril 2015, Dzhokhar Tsarnaev est déclaré coupable de l'ensemble des chefs d’accusation, il est condamné à mort par injection létale le 15 mai suivant. Il a été transféré à la prison Supermax de Florence et ses avocats ont lancé les procédures d'appel, invoquant l'absence de dépaysement de l'affaire et l'impossibilité d'un procès équitable.

 

dt.common.streams.StreamServer.cls.jpgSi Dzhokhar Tsarnaev ne s'est jamais prétendu innocent, d'autres l'ont fait pour lui, et notamment l'une des idoles de son frère décédé, Alex Jones, porte-parole du complot global, qui dès les attentats a brandi la théorie de l'attentat sous faux drapeau, le but du gouvernement étant d'étendre le contrôle de la Transportation Security Administration (TSA) aux événements sportifs. Mais pourquoi le principal intéressé ne l'a-t-il pas plaidé ? Tout simplement parce que son larynx lui aurait été ôté par les médecins israéliens lors de l'opération (3)...

 

Les familles des victimes sont mêmes accusées de simuler la perte de leurs proches par les tenants de la théorie des Actors Crisis (Acteurs de Crise) qui affirment que les blessés sur place étaient en réalité des acteurs. C'est ainsi que Jeff Bauman Jr, qui a perdu ses deux jambes lors de l'attentat, a pu découvrir à son réveil à l'hôpital des photos de lui sur internet l'accusant d'être un acteur, de s'appeler Nick Vogt, et de cacher son identité de soldat blessé sur le front afghan. Nick Vogt a certainement apprécié d'apprendre l'utilisation faite de son handicap par les conspirationnistes. Toujours est-il que Dzhokhar Tsarnaev a prouvé lors de son procès qu'il avait bien l'usage de son larynx, puisqu'il s'est exprimé en ces termes : «Je suis désolé pour les vies que j’ai volées. Pour la souffrance que j’ai causée, pour les dommages que j’ai créés. Des dommages irréparables. (...) Si un doute subsiste, qu’il n’existe plus. Je l’ai fait avec mon frère.»

 

 

Virginie Ikky pour Greffier Noir, le 29 septembre 2015.

 

 

notes:

 

1. Daily Mail

 

 2. article de Rolling Stone Jahar's world

 

3. The daily Banter



29/09/2015
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