Marie-Louise GIRAUD, la faiseuse d'ange d'une "affaire de femmes"
Par Virginie Ikky,
Le 20 mars 2009
Marie-Louise GIRAUD est exécutée le 30 juillet 1943, guillotinée, et c'est l'une des dernières femmes exécutées en France. Son crime est d'avoir pratiqué 27 avortements, délit dont la répression atteint son paroxysme sous le régime de VICHY. Considéré comme un crime contre la sûreté de l'état, l'avortement est jugé par une cour d'assises spéciale et des magistrats professionnels, les jurys étant suspectés d'indulgence.
La vie de l'inculpée est extrêmement banale. Issue d'une famille pauvre, elle est mariée à un marin avec lequel elle a deux enfants. Elle a exercé différents métiers : domestique, femme de ménage, puis blanchisseuse. Mais parallèlement elle s'est lancée dans d'autres activités lucratives. Depuis le début de la guerre, elle est en contact avec les milieux de la prostitution cherbourgeoise et loue des chambres de passe aux prostituées. Elle devient vite une avorteuse appréciée mais aussi avide d'argent car elle met en place un système plutôt ingénieux pour rabattre des clientes.
Marie-Louise GIRAUD a en effet recruté trois voyantes à qui les femmes confient tout naturellement les craintes d'une grossesse non désirée, que le mari soit parti en Allemagne au STO ou qu'elles n'aient pas les moyens d'avoir un bébé. L'argent amassé par Marie-Louise GIRAUD fera naturellement des jaloux, et des voisins la dénonceront.
L'accentuation de la répression de l'avortement ne date pas de VICHY. Au lendemain de la 1ère guerre mondiale, la France connaît de gros problèmes démographiques. L'avortement est déjà un délit, et la Loi de 1920 condamne l'intention d'avorter. A partir de 1923, l'avortement est correctionnalisé, toujours pour le problème des jurys populaires. La loi du 27 mars 1923 ne définit plus l'avortement comme un crime mais comme un délit : quiconque aura provoqué l'avortement d'une femme sera puni d'un à cinq ans de prison et d'une amende de 500 à 10.000 F. La femme avortée risque, quant à elle, de six mois à deux ans de prison.
La loi du 15 juillet 1942 parachève la répression en faisant de l'avortement un crime d'Etat relevant de tribunaux d'exception. Près de 4.000 condamnations sont prononcées entre 1942 et 1944. La politique de VICHY dans le domaine de la famille s'appuie souvent sur des textes législatifs rédigés dans l'entre-deux-guerres, les appliquant de façon stricte, les renforçant ou les détournant de leur but initial. Ainsi, le code de la famille de 1939 est mis en oeuvre et infléchi dans un sens moralisateur ; le délit " d' abandon de famille " (1924) est élargi en 1942 et devient une véritable désertion sociale ; les lois contre la provocation à l'avortement et la propagande anticonceptionnelle de 1920-23 sont renforcées en 1942 : " l'avortement d'habitude " devient un crime de haute trahison ; la loi Naquet (1884) autorisant le divorce n'est pas supprimée mais la procédure est très alourdie pour dissuader les demandeurs.
Le slogan " travail, famille, patrie " résume les priorités du régime de Vichy. Après la Charte du travail en 1941, le gouvernement tente de créer une " Charte de la famille " (loi Gounot de décembre 1942) qui vise à intégrer les familles légitimes dans une structure corporative unique et moralisatrice. Le retour de la femme au foyer y est favorisé (celle-ci est valorisée dès 1941 par la création de la " journée des mères "). Assez rapidement cependant, les réalités de la situation d'occupation et de collaboration reprennent le dessus : l'occupant a besoin de main d'oeuvre et exige l'intégration des femmes au STO.
Lors du procès, les vieux magistrats insistent sur l'immoralité de Marie-Louise GIRAUD puisque celle-ci est forcée d'avouer qu'elle a trompé son mari jusque dans le lit conjugal. Une infidélité qui permet au Tribunal de construire sa rhétorique d'exemple : le vice conduit au crime.
Marie-Louise GIRAUD est condamnée à mort et PETAIN refuse la grâce. Le film "une affaire de femmes" de Claude Chabrol est une adaptation de son histoire.
Virginie IKKY pour Greffier Noir
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