Le Greffier Noir, enquêtes et faits divers.

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QHS, unités de contrôle et tensions raciales au menu d'Orange is the new black, saison 4.

Par Virginie Ikky,

le 1 septembre 2016.

Orange-is-the-New-Black Greffier Noir www.greffiernoir.com.jpgAlors qu'elle donnait à voir un monde carcéral quasi idyllique, la quatrième saison de Orange is the new black, diffusée sur NetFlix, durcit le ton et livre une vision davantage réaliste des prisons américaines.

 

Orange is the new black est une création originale du site Netflix, adaptée de l'autobiographie de Piper Kerman par la scénariste Jenji Kohan. La série se déroule dans la prison de Litchfield (État du Connecticut), un établissement divisé en deux unités : la prison de sécurité minimum où les héroïnes évoluent, dans une atmosphère frôlant parfois la colonie de vacances ; et le Quartier de Haute Sécurité (QHS ou "max" dans les conversations des détenues) qui comporte plusieurs unités de contrôle regroupées dans la Special Housing Unit (SHU), équivalent du mitard français. Greffier Noir a déjà abordé dans les articles sur les prisons de Florence et d'Angola le recours devenu systématique à ces Quartiers de Haute Sécurité qui ont été mis au point dans la prison fédérale de Marion, ouverte en 1963 pour pallier à la fermeture d'Alcatraz. C'est à Marion qu'a lieu en 1983 le double meurtre de surveillants qui va modifier durablement les conditions de détention des détenus fédéraux et auquel il est fait référence par l'expression "Marion prison lockdown".

 

Bien que peu montré jusqu'alors par la série, le QHS était néanmoins présent dans les conversations des détenues de Litchfield, qui vivent le transfert vers cette unité comme la menace suprême, synonyme de "mort sociale". La détenue Miss Claudette y est par exemple transférée durant la première saison, après avoir agressé une surveillante. Stella Carlin y est envoyée en fin de saison 3, suite à une vengeance fomentée par Piper Chapman, à quelques jours de sa sortie.

 

C'est en suivant le parcours de Nicky Nichols, incarcérée pour trafic de stupéfiants, que le QHS est enfin filmé. Ce personnage avait disparu des radars depuis son transfert dans les quartiers disciplinaires, au début de la saison précédente, sous les yeux effarés de ses co-détenues.

 


 

Nous retrouvons donc Nicky dans la saison 4, occupée à faire le ménage dans les parties communes du QHS, parlant toute seule et soumise aux surveillants véreux, dans un épisode reflétant les conditions de détention de la majorité des détenus aux USA : humiliation, solitude, violence, régime juridique arbitraire, les QHS sont des zones de non-droit destinées à littéralement dresser et briser les détenus récalcitrants. Ce type de quartier s'est aujourd'hui multiplié dans le système carcéral américain, afin de mater les détenus et de garantir par des mesures extrêmes la sécurité des surveillants, au sein de prisons minées par la violence et la haine raciale.

 

A cet égard, l'un des assassins des deux surveillants de la prison de Marion en 1983, Thomas Silverstein, détient le record de durée de détention à l'isolement dans une prison fédérale : 33 ans à ce jour. Mais les représailles du système ont été impitoyables pour l'ensemble des détenus de Marion puisque tous furent placés à l'isolement du jour au lendemain. Alors que la moyenne du temps passé hors d'une cellule est de 13 heures par jour dans les prisons fédérales, les détenus de Marion passèrent tous à 90 minutes par jour, sans compter les fréquents tabassages.

 

Ce modèle de confinement des détenus , la "marionisation" des prisons américaines où l'isolement est devenu un moyen courant de gestion des plus retors, porte différents noms: « Special Housing Unit » (comme à Pelican Bay, Californie), « Intensive Management Unit » (comme dans l’État de Washington), « Security Housing Unit », « Restricted Housing Unit », « Behavioral Management Unit » ou encore « Communications Management Unit » sont autant d'appellations de ces nouveaux quartiers reléguant les détenus à des conditions animales.

 

La première prison dont la construction a intégré les impératifs techniques liés au régime de Haute Sécurité est la prison de Pelican Bay et ses 1 200 cellules sans fenêtre regroupées dans une SHU (Special Housing Unit). Au milieu des années 1990, apparaît une nouvelle génération de prisons haute sécurité : les « supermax », la plus célèbre d'entre-elles étant la prison Supermax de Florence dans le Colorado, une version améliorée du pénitencier de Marion, qui a ouvert ses portes en 1994 et accueille les détenus politiques les plus dangereux du système carcéral fédéral : Ted Kaczynski, Terry Nichols, Eric Rudolph, Zacarias Moussaoui, Ramzi Yousef...

 
Orange-is-the-New-Black-Saison-4-Épisode-04-1.pngCes unités de contrôle sont au cœur de la saison 4 d'Orange is the new Black puisque la détenue transgenre Sophia Burset y échoue suite à des problèmes de violence. La série aborde ainsi lors de quelques séquences les troubles psychiatriques causés par ces pratiques disciplinaires d'isolement qu'Amnesty International dénonce régulièrement. Le régime de haute sécurité implique diverses formes de privation sensorielle: lumière ou, à l’inverse, obscurité permanente (et absence de lumière naturelle), insonorisation ou bruits de fond empêchant d’entrer en contact avec les détenus des cellules voisines, etc.

 

Les prisonniers sont soumis à un dispositif de surveillance outrancier et oppressif et la plupart sombrent mentalement. Les contacts humains, y compris avec les gardiens, sont réduits au minimum : repas distribués par une ouverture dans la porte de la cellule, quasi inexistence des activités culturelles, éducatives ou thérapeutiques. Les possibilités de correspondance et de contacts avec le monde extérieur sont réduites et les conditions de visite sont extraordinairement restrictives. Les chercheurs s’accordent sur le fait que de telles conditions de détention favorisent l’apparition de troubles aussi bien psychiques que physiques. On rapporte également un nombre plus élevé de suicides et d’automutilations. D’une manière générale, l’état de santé des personnes placées dans des quartiers de haute sécurité se dégrade rapidement. Pour Sophia, il y aura cependant une fin heureuse puisque la détenue réintègre la prison de sécurité minimum après plusieurs actes d'auto-mutilation et de dégradation de sa cellule.

 
Skinhead_Helen.jpgPar ailleurs, la série aborde frontalement les tensions raciales en prison, sous un jour beaucoup plus rude qu'auparavant. Les détenues de la série étaient déjà regroupées par ethnie : noires, latinas et blanches. Devant l'arrivée massive de nouvelles détenues dominicaines au début de la saison 4, celles-ci décident de profiter de leur nombre pour s'élever dans la hiérarchie de la prison, en prenant les rênes du trafic du drogue. En délicatesse avec les dominicaines, l'héroïne Piper Chapman est contrainte de se joindre à un groupe suprémaciste blanc, mené notamment par des membres de ce qui semble être l'Aryan Brotherhood, l'un des gangs les plus violents des prisons américaines, invisible lors des saisons précédentes. Selon le FBI, bien que ses 10.000 membres ne représentent que 0,1 % de la population carcérale, l'Aryan Brotherhood serait responsable de 30 % des meurtres commis en détention. Brandy et Skinhead Helen sont deux nouveaux personnages arborant crâne rasé et tatouages laissant peu de place au doute quant à leurs idées politiques. Piper Chapman paiera cher cette accointance raciste en se faisant agresser par les dominicaines et scarifier l'avant-bras d'une croix gammée.

 

Orange is the new black se conclut enfin sur une référence au mouvement Black Lives Matter, né de l'acquittement controversé de Georges Zimmerman, le vigile blanc qui a tué un adolescent noir, Trayvon Martin, en février 2012. Révoltées par la gestion calamiteuse de leur prison par une entreprise privée, les détenues de Litchfield s'opposent aux surveillants lors d'une action de protestation pacifique qui dérape lorsqu'un surveillant inexpérimenté maintient à terre Poussey Washington et provoque sa mort par suffocation. Une détenue noire, condamnée à 6 ans de prison pour des faits mineurs de vente de cannabis et à l'allure adolescente, est ainsi tuée par un surveillant blanc, en écho à la mort de nombreux afro-américains, et particulièrement celle d'Eric Garner, mort d'une crise cardiaque le 17 juillet 2014, après avoir subi une prise d'étranglement.

La série prend un virage militant sur fond d'inégalités raciales et de dérive sécuritaire des prisons américaines. Reste à voir si ces ambitions survivront à la saison 5, de nombreux commentateurs ayant souligné que "les fans pouvaient être choqués par la brutalité du propos".

 

 

Par Virginie IKKY pour Greffier Noir

 

 

Liens vers d'autres articles :

 

1°) Solitary Watch

 

2°) Vulture

 

3°) Orange is the new black - Wikia



01/09/2016
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